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Carmina Burana
dimanche 26 mars 2006, par
Préambule
Cette seconde étude invite ses lecteurs à chanter les Carmina Burana, afin de mieux s’imprégner de l’hédonisme teinté de mélancolie qui s’en dégage. L’interprétation de référence qui a été choisie pour cette étude est celle qui a été dirigée par Robert Shaw avec l’Atlanta Symphony Orchestra and Chorus en 1981 et produite par la maison de disques TELARC DIGITAL.
Les origines
À l’origine des Carmina Burana se trouve un ensemble de manuscrits réunis au XIIIe siècle. Ces manuscrits provenaient de divers pays et étaient l’œuvre de clercs en rupture de ban - les Goliards - auteurs pour la circonstance de textes profanes vantant les plaisirs du lit, de la bonne chère et de la bouteille. Ce n’est qu’au XIXème siècle que l’on trouva ces chansons dues à des poètes vagabonds des XIIe et XIIIe siècles.
Ils contiennent, classés thématiquement, plus de 200 chansons et poèmes en bas latin, en moyen haut allemand et en vieux français, ainsi qu’un certain nombre de strophes réunissant ces différentes langues. À côté de scènes religieuses, les auteurs y fustigent les erreurs de l’État, de l’Église, de l’éducation . Mais y figurent aussi des textes, qui célèbrent la nature (Veris leta facies), l’amour (Amor volat undique), le destin (O fortuna), et la boisson (In taberna).
fortuna imperatrix mundi
Fortuna est la déesse romaine de la destinée humaine, et surtout de la chance aveugle, du hasard et des coups du sort. Elle symbolise les gains et les pertes dues au hasard.
Le premier poème est en soi une justification de ceux qui vont suivre : la Fortune, c’est à dire la chance ou la malchance, y est présentée en maîtresse du monde, faisant et défaisant les princes et les misérables, les pauvres et les riches, et régentant l’humanité de sa roue qui tourne incessamment. Le poème tout entier est imprégné d’une sourde mélancolie invitant aux choses légères et impermanentes, puisque rien de stable n’est garanti en ce bas-monde. Il n’est pas étonnant après un tel préambule de voir les poèmes suivants célèbrer successivement le printemps, la boisson puis les amours furtifs pour enfin finir comme les carmina ont commencé.
O Fortuna |
Sors immanis |
Sors salutis |
Seules des observations conjointes littéraire et musicale peuvent rendre compte pleinement de l’intensité dramatique de cette invocation à la Fortune.
L’intensité progressive des effets sonores croît en même temps que s’aggrave le ton du poème.
Les premiers vers sont martelés avec insistance, détachant chaque syllabe, ce qui donne le ton de l’ensemble des trois strophes.
Ainsi, dans les deux premières strophes, le choeur est à l’unisson, le thème est identique, tout au long de cette première partie : quatre notes entrecoupées d’un silence, semblable à l’implacable marche cette déesse inflexible. Nul ne peut échapper à son destin, voilà ce que semblent nous dire les notes de musique.
A l’issue de la seconde strophe, timbales et grosses caisses se déchaînent : ce n’est pas un hasard la fortune s’est retournée : « michi nunc contraria » chante le choeur . Il m’est contraire, et l’angoisse sourde qui montait via une reprise lancinante, se déchaîne désormais dans le tintamarre des maux qui s’abattent et pleuvent sur l’humain fragile. Le ryhtme s’est accéléré, et le choeur ne chante plus qu’une seule note tandis qu’un déluge de bois, de cordes et de cuivres le submerge.
Violoncelles et contrbasses annoncent l’inéluctable arrêt du sort, tandis que gongs et tymbales sonnent comme les heures d’une horloge.
2. Fortune plango vulnera
Fortune plango vulnera |
In Fortune solio |
Fortune rota volvitur : |
Le "Fortune plango vulnera" est consacré tout entier aux regrets. La roue de la Fortune s’est inversée. Le poète, dans un premier temps évoque son sort particulier pour finir par des réflexions d’ordre universel sur la fragilité du pouvoir des puissants (rex sedet in vertice
caveat ruinam !) . Il évoque une figure mythologique fameuse, celles d’Hécube, l’épouse de Troie, la cité la plus opulente et la plus puissante d’Asie Mineure, dans la mythologie grecque.
Rechercher ce que signifie « sub axe » et quel fut le destin de Troie et d’Hécube fait comprendre l’ampleur de la chute quand Fortune décide de tourner...
in taberna quando sumus
(Choeur de garçons) (CD : piste III 7:30 jusqu’à la fin).
A la taverne
In taberna quando sumus |
Primo pro nummata vini, |
Bibit hera, bibit herus, |
bibit presul et decanus, |
Le poème de la taverne donne lieu à d’ironiques considérations sur bienfaits de la taverne, et surtout de la boisson. Il faut dire que le troisième poème débutait par une véritable apologie du vice...
On peut à cet effet lire l’étude suivante sur la taverne au moyen-âge pour mieux comprendre ce que sous-tend le poème.
Le vin
« Le vin est, selon H. Rey-Flaud, l’acteur principal, invisible et omniprésent de la taverne. Il est en effet la seule chose qui tienne lieu d’âme à toute cette population de taverne : pauvres, truands ou personnes dépravées, c’est en lui qu’ils font naufrage, qu’ils se noient et sont conduits aux portes de l’Enfer.
Le vin offre du rêve, de l’illusion, mais est en fait le breuvage qui entraîne la dégradation de ceux qui le goûtent. Bien loin de Rabelais, mais aussi bien loin de la fonction sacrée du vin et de l’ivresse des Grecs de l’Antiquité par rapport à Dionysos, le vin ne symbolise ici que plaisir illusoire conduisant à la déchéance pure et simple, physique et morale. On pourrait donc dire que le vin de la taverne est l’anti-vin de la messe censé elever spirituellement l’âme des fidèles. »
La taverne
« Si le vin constitue une porte de l’Enfer, on peut dire que la taverne représente l’anti-église par excellence. Tout comme le vin de la taverne qui s’oppose au vin de messe, la taverne symbolise l’autre pôle de la ville par rapport à l’église. Si l’église est le lieu où l’on est censé élever les âmes, la taverne est au contraire, comme nous l’avons vu, le lieu urbain de la descente aux Enfers, de la plongée vers le " bas " où tous les marginaux de la ville (voleurs, pauvres...) peuvent venir se perdre. Cepedant, non seulement la taverne s’affiche comme l’anti-église, mais en plus elle le fait en parodiant cette dernière. Les choses saintes y sont complètement transgressées. La parodie de l’église par la taverne ne peut être plus manifeste. La taverne est donc bien le lieu de renversement des valeurs religieuses, bouleversées sous l’effet du vin. »
amor volat undique
(CD piste IV 0:40-3:09)
(Choeur de filles) |
(Soprano) |
Ce sont bien sûr les amours folâtres qui complètent ce parcours.
Ecoute de l’extrait
Composition médiévale
On peut mieux concevoir les différences entre les choix de Carl Orff et la composition initiale en écoutant le parcours d’écoute qui figure sur le site de l’Académie de Strasbourg : ce dernier correspond au « quando in taberna sumus ».
Par ailleurs, d’autres morceaux des carmina burana sont disponibles en fichier midi à l’adresse suivante :
http://brassy.club.fr/PartMed/Carmbur/CarmBur.html
Les sites qui suivent ont permis l’élaboration de cette étude.
http://maddingue.free.fr/carmina-burana/
Instruments médiévaux
http://www.ac-amiens.fr/pedagogie/lettres/Latgrec/musique.htm
http://www.chez.com/littmedievale/Lm034.htm
Parcours d’écoute (Académie de Strasbourg) (les documents sonores liés proviennent de ce site)